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Albinos : son ennemi numéro un, le soleil en Afrique

REPORTAGE. Les ravages du soleil tuent bien plus d’albinos chaque année que les massacres et meurtres rituels. La Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme* offre l’occasion d’aller plus loin dans cette réalité.

Chaque annee, environ 500 albinos viennent au Cnam pour consulter.
Chaque année, environ 500 albinos viennent au Cnam pour consulter.© Sébastien Rieussec

Au Mali, une association et des dermatologues travaillent main dans la main pour prévenir l’apparition de cette terrible maladie. Il faut dire que la situation est urgente sur le terrain où des situations difficiles sont constatées tous les jours. Ses cris sont déchirants et son regard hagard. Dans les bras de sa mère, le petit Facinet, à peine un an, se débat. Il écarte les mains des dermatologues qui essaient d’ausculter son crâne parsemé de taches brunes. Des croûtes noirâtres qui ne passent pas inaperçues sur sa peau blanche. Facinet est atteint d’albinisme, une maladie génétique caractérisée par une absence de pigmentation de la peau, des cheveux et parfois des yeux.

Rare en Europe, où moins d’un enfant sur 20 000 est touché, l’albinisme est une maladie fréquente en Afrique subsaharienne. Au Nigeria, environ un enfant sur 5 000 est albinos. Dans certaines ethnies sud-africaines, cette prévalence est deux fois plus importante. Or, sur ce continent, la santé des albinos est fortement menacée. Leur peau est extrêmement vulnérable face à l’implacable soleil africain. « Les risques de développer un cancer de la peau sont très élevés et les études estiment que la plupart des albinos meurent d’un cancer de la peau avant 40 ans », souligne le Pr Ousmane Faye, chef du service de dermatologie du Centre national d’appui à la lutte contre la maladie (Cnam) et vice-doyen de la faculté de médecine de Bamako.

Les taches noires sur le corps de Facinet en sont les prémices. « Appelées kératoses actiniques, ces lésions sont précancéreuses. Si on ne les enlève pas, elles pourraient évoluer en cancer de la peau », explique le Dr Mamadou Gassama, responsable des consultations pour les personnes atteintes d’albinisme au Cnam alors qu’un de ses collègues applique de l’azote liquide sur le crâne de l’enfant pour geler les cellules cancéreuses et les détruire. Les hurlements de Facinet se font encore plus perçants.

La salle d’attente du CNAM.© Fondation Pierre Fabre

La cryothérapie pour soigner

Pour pouvoir soigner son fils, Mariama a parcouru des centaines de kilomètres à moto depuis la Guinée voisine. Un trajet épuisant avec un jeune enfant qu’elle devra faire régulièrement : le Cnam est le seul centre en Afrique de l’Ouest à offrir des consultations et des soins gratuits aux albinos, grâce au soutien de la Fondation Pierre-Fabre. « Nous recevons des patients de tout le Mali, mais aussi de tous les pays voisins. Chaque année, environ 500 albinos viennent ici pour consulter », confirme le Pr Ousmane Faye.

Et les consultations ne désemplissent pas. Tous les mardis et jeudis matin, une dizaine de personnes patientent plusieurs heures pour bénéficier de la cryothérapie à l’azote liquide ou montrer au médecin des lésions cutanées. Moussa, 20 ans, est l’un d’entre eux. Casquette rouge vissée sur la tête, il évite de croiser le regard des autres patients, mais aussi les rayons du soleil. Ses yeux sont très fragiles et oscillent de manière saccadée. Ces mouvements involontaires sont une autre manifestation de l’albinisme. Mais lorsque le Dr Gassama l’invite à entrer dans son cabinet, le visage de Moussa s’illumine. « Il vient depuis trois ans pour la cryothérapie, mais, malheureusement, les taches reviennent, car il n’applique pas les règles de protection que je lui ai conseillées, explique le Dr Gassama. Pourquoi mets-tu encore cette casquette ? Elle ne te couvre pas le cou et les oreilles. Tu dois porter un chapeau qui te protège plus », dit-il en montrant à Moussa les marques que le soleil a laissées sur sa nuque.

La prévention des dommages causés par le soleil est le seul moyen efficace pour éviter l’apparition de cancers cutanés. Elle est d’autant plus importante qu’une fois le cancer déclaré, les chances de guérison sont aujourd’hui quasi nulles en Afrique subsaharienne, en raison du manque de moyens, mais aussi de l’agressivité de ce type de tumeurs. Pour les albinos, le cancer de la peau est le principal risque vital. Conscient des risques, le jeune homme admet pourtant ne pas porter de vêtements longs pour protéger ses bras ou ses jambes, et encore moins des lunettes de soleil. Il n’applique pas non plus de crème solaire tous les jours. Un comportement dangereux alors que Moussa, qui a quitté l’école très jeune à cause des moqueries et de ses troubles visuels, laboure les champs pour vivre. « Il faut que tu mettes de la crème solaire au moins deux fois par jour », insiste le Dr Gassama, qui lui rappelle qu’il peut en avoir auprès de l’association Solidarité pour l’insertion des albinos au Mali (Siam).

Crèmes solaires et campagnes de sensibilisation

Abritée dans les locaux du Cnam, l’association Siam produit sa propre crème solaire depuis 2011. Dans l’atelier modeste, les laborantins préparent plus de 2 000 pots par an. « Nous mélangeons de la vaseline avec deux filtres ultraviolets anti-UVA et anti-UVB. C’est tout. Nous n’avons besoin que de ces trois ingrédients », explique Joseph Traoré en montrant les différents ingrédients. « Cette formule a été validée et améliorée par notre partenaire, la Fondation Pierre-Fabre », précise Aicha Diakité, la présidente de l’association Siam. Chaque mois, l’association organise une distribution auprès de ses adhérents, qui sont aujourd’hui plus de 700. « Les pots de crème sont gratuits. Il faut simplement que les personnes adhèrent à l’association à hauteur de 500 CFA par mois. Nous avons également créé des partenariats avec d’autres associations de personnes atteintes d’albinisme à qui nous délivrons des crèmes. Grâce à cette collaboration, nos crèmes sont distribuées dans six villes du pays, mais aussi la Guinée et la Côte d’Ivoire », indique Aicha Diakité.

La crème solaire est fabriqué sur place, dans un laboratoire du SIAM.© Fondation Pierre Fabre

En parallèle, l’association Siam organise, en partenariat avec les dermatologues du Cnam, des campagnes de sensibilisation et de dépistage des cancers de la peau. En avril et mai 2018, près de trois cents personnes ont pu consulter un spécialiste, et des interventions chirurgicales ont pu être réalisées à Sikasso, Kayes (Kita), Yélimané, Koulikoro et Ségou. « Nous avons également formé une dizaine d’agents jouant le rôle de relais dans ces six régions afin que les albinos puissent obtenir des informations et être auscultés, car, lorsqu’ils arrivent au Cnam à Bamako, ils souffrent déjà de troubles graves et de complications », complète Aicha Diakité, qui aimerait pouvoir étendre les actions de son association à tout le Mali. « Il faudrait que les autorités s’impliquent davantage pour mener une campagne de sensibilisation à grande échelle pour apprendre aux albinos comment se protéger du soleil, mais aussi donner les moyens aux associations comme la nôtre qui œuvrent à la prise en charge des albinos. »

Dans ce contexte, la Fondation Pierre-Fabre a annoncé s’investir davantage dans l’accès aux soins dermatologiques des personnes atteintes d’albinisme. Outre son soutien pérenne à l’association Siam, la Fondation va répliquer le modèle malien au Togo. À partir de la fin juin 2019, elle appuiera les actions de l’Association nationale des albinos du Togo et la Société togolaise de dermatologie pour lancer la production de crème solaire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest ainsi que des consultations gratuites. Son action s’étend également jusqu’en Afrique de l’Est, où elle soutient l’ONG Standing Voice en Tanzanie et au Malawi pour créer un réseau de cliniques dédiées à la prise en charge des albinos. L’ONG et la Fondation songent d’ailleurs à étendre ce modèle de clinique en Afrique de l’Ouest francophone d’ici à 2020.

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