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La « Mona Lisa nigériane » retrouvée à Londres

Par Constance Cabouret

Le célèbre portrait peint par l’artiste nigérian Ben Enwonwu avait disparu dans les années 1970. La mystérieuse Tutu est devenue une icône au Nigeria. Retrouvé, le tableau sera mis aux enchères ce mois-ci.

Lors d’un voyage dans la campagne nigériane, Ben Enwonwu rencontre Adetutu Ademiluyi. « Tutu », comme il la surnomme, est une princesse Ife. Impressionné par sa beauté – certains diront même qu’il en est tombé amoureux – il décide de peindre son portrait en 1974. Le tableau est exposé pour la dernière fois en 1975, puis disparaît pendant des décennies. Jusqu’à ce qu’il soit redécouvert par Giles Peppiatt, directeur de l’art moderne africain pour la maison de ventes aux enchères Bonhams. La belle « Tutu » se cachait dans un appartement à Londres. « Je suis entré dans cet appartement londonien et je l’ai vu accroché au mur, c’était à peu près la dernière chose que je m’attendais à voir », a raconté Giles Peppiatt.

Si le tableau n’a pas été vu pendant près de quarante ans, il n’a jamais été oublié. Son mystère séduit, et « Tutu » est devenue une icône au Nigeria. Elle est pour le romancier nigérian Ben Okri une « Mona Lisa africaine ». Le tableau a été reproduit de nombreuses fois. « Je pense qu’il est accroché aux murs de chaque famille de classe moyenne », a expliqué l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie à la BBC.

Redéfinir l’art africain

Cette vente aux enchères est l’occasion de redécouvrir l’œuvre de Ben Enwonwu. Le peintre et sculpteur a fait émerger l’art moderne africain sur la scène internationale. Son œuvre, complexe, témoigne d’une relation difficile avec le Royaume-Uni, ancien colonisateur. Dans son tableau Nigerian Symphony, peint entre 1963 et 1964, il exalte la joie et la liberté d’un pays qui vient de retrouver son indépendance. Pourtant, quelques années auparavant, c’est une Elisabeth II en majesté que le peintre avait sculptée. Tiré entre deux mondes, Ben Enwonwu cherche à imposer une nouvelle identité à l’art produit sur le continent africain. « Je n’accepterais pas d’avoir un statut inférieur dans le monde de l’art. Ni que mon art ne soit qualifié ‘d’africain’ […] J’ai toujours lutté contre ce type de concept, parce qu’il est faux », déclarait-il en 1985. C’est finalement une conception occidentale de l’art africain qu’il rejette. Ben Enwonwu le martèle, l’art moderne nigérian n’est pas seulement une copie des œuvres du passé, celles qui ont influencé Picasso, Braque et Giacometti. « Je pense qu’il montre bien comment les gens veulent que l’artiste africain fasse exactement ce que ses ancêtres ont fait. Si vous n’êtes pas plus ou moins en train de reproduire un masque de bronze, certains penseront que vous n’êtes pas vraiment Africain », souligne Chimamanda Ngozi Adichie

Un symbole de paix

Ben Enwonwu n’a jamais été un militant. Mais son art est définitivement politique, lourdement marqué par la guerre civile nigériane. A la fin des années 1960, le conflit, notamment lié à des affrontements entre les trois ethnies principales du pays, les Ibo, les Haoussas et les Yorubas, avait touché entre 8 et 10 millions de personnes. L’œuvre de l’artiste nigérian est devenu un symbole de paix. Le portrait de Tutu est alors pensé comme une métaphore de l’unité du pays. « Le modèle est Yoruba et Ben Enwonwu était Ibo, donc ils étaient issus de différentes ethnies », a expliqué à l’AFP Eliza Sawyer, spécialiste du département d’art africain de Bonhams. « C’était un symbole important de réconciliation ».

Bonhams a retrouvé un tableau historique. L’iconique « Tutu » sera mise aux enchères le 28 février. Le portrait est estimé entre 230 000 et 340 000 euros.

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